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Ils étaient
assis sur les remparts ; derrière eux, Saint
Malo tailladait à grands coups de toits noirs
un ciel de moire grise ; un soleil de sang frais était
posé sur l’eau.
Lui, mordait dans un harmonica et mâchonnait une
chanson, où il était question de départ
et de retour ; elle, balançait ses jambes au
dessus de la mer, et dédiait aux vagues l’attente
savamment vague de son visage aigu.
Mais comme la fin du jour trop certaine rendait toute
attente incertaine d’obtenir un lendemain, la
fille jeta soudain l’ancre de sa main vers le
garçon atteint par le flux lent de l’ombre,
et ses jambes immobiles opposèrent leur frein
au courant du temps qui leur offrit l’illusion
d’une étale.
L’harmonica se tut......quand la chanson morte
ressuscita son chant. Un chant aussi bas que le premier
soupir de l’océan heureux, aussi pur que
le premier cri dont le souffle hésitant sentait
encore l’argile, et soudain, aussi sûr d’éveiller
la réponse d’un cri identique il jaillit,
triomphant, ébloui de relier la vie à
la vie, l’unité à l’infini,
l’éphémère à l’éternité.
Mais elle n’attendait que l’amour des chansons
d’amour, celui dont tout le monde sait les paroles,
celui qui dit aux filles qu’elles sont belles,
ce lui qui dit en clair « je t’aime »,
et où il n’est question que de toujours
qui durent une saison ou bien une semaine……et
ses jambes impatientes commencèrent une danse
qui piétinait ce chant qui ne voulait rien dire,
et, comme il ne voulait pas se taire non plus, elle
se leva d’un bond.
Et le fil cassa net.
Le garçon était assis sur les remparts,
plus sombre que la nuit qui gommait Saint Malo, et seul,
le va-et-vient d’une étincelle vive attestait
que là-haut, quelqu’un raccommodait à
petit coup de musique-aiguille un sempiternel accroc.
Texte de Gabrielle Martin -
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